Dactylis glomerata (
Dactyle aggloméré) appartient aux légions
Poaceae, qui représentent sans doute une des familles les plus anciennes et les plus répandues du règne végétal (20% de la couverture végétale de la planète, de l’Antarctique au Poitou!). Et pourtant... Les Poacées, c'est à dire l'herbe, la pelouse, le gazon, au mieux les céréales, ne passionnent guère les foules. C'est à peine si on les remarque sous nos pieds. Quand à l'apprenti botaniste, il préfère souvent les laisser de côté, ce clan étant réputé difficile d’accès et ses membres nombreux et ardus à identifier.
Holmes, vous ne résoudrez jamais cette enquête...
(Sherlock Holmes, Guy Ritchie)
Il est vrai que l'examen attentif d'un brin d'herbe revient un peu à tenter de couper un cheveux en quatre: les Poacées sont passées Maîtres dans l'art de la miniaturisation. Chez elles, le vent fait office de butineur et la danse des minuscules pièces florales tient lieu de parade nuptiale. C'est un chef d’œuvre de mécanique de précision qui attend l’observateur persévérant! Je vous recommande de (re)visiter
notre article consacré à leurs inflorescences et au vocabulaire associé avant de vous lancer à la rencontre de notre Sauvage du jour.
Pour reconnaître le Dactyle aggloméré, il suffit de savoir compter jusqu'à trois! Mais pas de panique,
Dactylis glomerata est plutôt aisé à reconnaitre, et ce avec ou sans loupe! Son nom vient du grec
daktulos, le «doigt», peut-être à cause de l’extrémité des
épis (ou
panicules) de la Sauvage, qui forme une sorte de gros doigt (ou pouce) suivi de deux doigts plus petits. Chaque doigt est composé d'un groupe d'
épillets serrés et fournis, d'où le Dactyle «
aggloméré» ou «
pelotonné».
Dans une autre version, le nom de la sauvage viendrait du «dactyle», un élément métrique en poésie qui désigne une syllabe accentuée suivie de deux syllabes brèves, à l'image des trois phalanges d'un doigt: la première est longue, les deux suivantes courtes. Prononcez son nom à haute voix pour le retenir:
DA-cty-le: une syllabe très accentuée suivie de deux syllabes plus discrètes!
Inflorescence verdâtre-violacée du Dactyle aggloméré: les étamines au filet très allongé à maturité confient leur pollen au vent D'autres détails peuvent nous renseigner: la tige de
Dactylis glomerata (ou plutôt son
chaume) est recouverte d'
une gaine aplatie, comme si la Sauvage était passée sous presse. Enfin, la
ligule longue et déchirée est caractéristique.
Feuille large, ligule longue et déchirée et gaine aplatie du Dactyle aggloméré Que les botanistes aguerris en mal d'aventures se rassurent,
Dactylis glomerata reste une espèce éminemment complexe: au laboratoire, la Sauvage présente un patrimoine génétique variable, et les débats à son sujet sont loin d'êtres terminés: et si ce taxon n'était que le brin d'herbe qui cache la forêt? Les sous espèces sont nombreuses, même si le tri est quasiment impossible sur le terrain... La biblique
Flora Gallica nous propose par exemple d'observer la micro rugosité des feuilles à la lumière rasante et au grossissement x100 pour reconnaitre la méditerranéenne
D.glomerata subsp. hispanica!
Loin des laboratoires,
Dactylis glomerata est une
vivace très commune qui installe ses touffes dans les prairies baignées de soleil, aux bords des routes et des chemins, sur des sols riches en azote (amendements des culture et/ou pollution automobile). Grâce à son système racinaire dense et puissant qui capte l'humidité en profondeur, la Sauvage reste verte jusqu'au cœur de l'été, quand le parterre autour semble réduit à l'état de paillasson cramoisi.
Dactyle aggloméré, une Sauvage très fréquentée à la belle saison.
S’il était allergique aux graminées, ça le rendrait plus attachant je trouve.
(L’âge de glace, Chris Wedge et Carlos Saldanha)
Dactylis glomerata est une plante riche en protéines. Si ses touffes grossières sont considérées comme de vulgaires herbes folles au jardin, la Sauvage est une fourragère appréciée dans les prairies de fauche ou les pâturages. Sa résistance à la sécheresse rend sa culture aisée (elle ne craint guère que l'humidité et quelques maladies cryptogamiques, dont le célèbre Ergot du seigle), pour le plus grand bonheur des éleveurs, mais aussi pour celui des vendeurs de mouchoirs: le pollen de
Dactylis glomerata, hautement volatile, est en partie responsable des concerts d'éternuements et des rivières de larmes de ceux qui souffrent du rhume des foins à la belle saison!
Le petit monde de Dactylis glomerata
Comme bon nombre de graminées, le Dactyle aggloméré… agglomère bon nombre de papillons qui s’en nourrissent!
Entre juin et juillet, dans les lisières forestières et les friches du Poitou, il accueille notamment la chenille d’un papillon aussi minuscule qu’abondant: l’
Hespérie de la houque (
Thymelicus sylvestris). Celle-ci fait partie d’une grande famille dont les membres ont un aspect si ressemblant les uns des autres que le seul critère fiable pour les distinguer est la reconnaissance de la forme des parties génitales des mâles!
Hespérie de la houque: des ailes en «biplan» inimitables!
Pas de panique pour notre petite Hespérie, que l’on pourrait seulement confondre avec sa cousine l’
Hespérie du dactyle (
Thymelicus lineola), une autre mangeuse de dactyle outre-Manche. Les distinguer est un jeu d’enfant, à condition d'aimer les contorsions et de savoir approcher les papillons sans leur faire peur: il faut parvenir à se positionner face à elles afin de vérifier le dessous de l’extrémité de leurs antennes. Si elles sont fauves, il s’agit de l’
Hespérie de la houque. Si elles sont noires, vous avez affaire à l’
Hespérie du dactyle. Comme avec les Poacées, l'enquête repose sur l'observation des détails!
Bout des antennes fauve à gauche pour l'Hespérie de la Houque, versus bout des antennes noir à droite pour l'Hespérie du Dactyle. Le Dactyle aggloméré est bien pratique à l’
Hespérie de la Houque: la gaine foliaire aplatie de la Sauvage permet au papillon d’y pondre et d'y cacher ses œufs à l’abri des regards. Mieux encore, elle servira d’abri à la chenille qui y passera l’hiver. Celle ci poursuivra sa croissance au printemps, logeant d’abord dans une feuille pliée en gouttière puis, plus grande, se tenant allongée sur le dessus des feuilles: une chenille verte et longue sur une feuille verte et longue reste le meilleur moyen pour passer la belle saison en toute quiétude, loin des importuns.
Hespérie de la Houque (photo Olivier Pouvreau)
Pour aller plus loin:
- Dactylis glomerata sur Tela-botanica
- Dactylis glomerata sur Botarela