De gauche à droite et de haut en bas: Chêne pubescent, Saule marsault, Cornouiller sanguin, Aubépine à un style, Figuier commun et Noisetier.
Grandir apporte tellement d’inconvénients... Et de poussées de boutons!
(Peter Pan, Paul John Hogan)
Continuant notre tour d'horizon du vocabulaire permettant de décrire les plantes (feuilles simples ou composées, leur disposition sur la tige, fleurs régulières ou irrégulières, leur agencement en inflorescence, fruits), cet article vous propose une nouvelle activité propice en cette saison de repos végétal, mais pas de repos des méninges: l'observation des bourgeons.
Chez nos Sauvages, les bourgeons correspondent à de petites excroissances, composées de très jeunes pièces foliaires, qui peuvent évoluer pour donner naissance à un rameau feuillé ou à une fleur. On distingue le bourgeon apical (ou terminal), situé au sommet de la tige et les bourgeons axillaires, situés en dessous, aux aisselles des feuilles.
Bourgeons violets d'un rameau d'Aulne glutineux (Alnus glutinosa): l'apical en haut, les axillaires en dessous, à l'aisselle des feuilles.
Le développement d'une tige ou d'un rameau (principal ou secondaire) se fait via le bourgeon apical: c'est lui le patron. Dessous, les bourgeons axillaires attendent généralement leur heure, en embuscade. Le bourgeon apical libère une hormone végétale (l'auxine) qui inhibe leur croissance. De plus, il s’octroie une bonne partie des substances nutritives, au détriment des autres bourgeons. Si le bourgeon apical vient à disparaitre (arraché par une tempête, taillé, tondu, mordu...), les bourgeons axillaires les plus proches en profitent pour prendre le relais, devenant à leur tour des bourgeons apicaux chargés d'assurer le développement de leur propre rameau. Une plante peut aussi organiser un putsch en «destituant» un bourgeon apical (par le jeu des hormones végétales). Cette hiérarchie pleine de rebondissements s'appelle la dominance apicale.
- Aller, tout le monde va se coucher!
- Mais chef c'est le début de l'après-midi...
- J'veux pas le savoir, bonne nuit!
(RRRrrrr!!!, Alain Chabat)
Ainsi, plus la dominance apicale est forte, plus le végétal présente une silhouette triangulaire et un centre de gravité près du sol: depuis le sommet de son rameau, le bourgeon apical exerce son autorité sur les bourgeons les plus proches de lui, paralysés par la trouille (1). A l'inverse, plus le patron est complaisant, plus le végétal est ramifié, chaque bourgeon s'exprimant de son côté (2 et 3).
Le «style managérial» des bourgeons (autoritaire, participatif, permissif...) varie en fonction des espèces et façonne le port d'une plante, c'est à dire sa silhouette générale (bien sûr, l'environnement et les aléas de la vie participent aussi); une allure qu'il est utile de remarquer dans nos efforts d'identification.
Dominance apicale chez la Molène (Verbascum sp.): «Chef oui chef!»
Dominance apicale chez la Mercuriale annuelle (Mercurialis annua), ou l'art du management participatif. Son port ramifié nous permet de la différencier de la Mercuriale vivace (Mercurialis perennis) qui ne tolère aucune ramification.
Jusqu'à présent, les leçons de botanique joyeuse de Sauvages du Poitou se sont surtout intéressées aux détails morphologiques des végétaux, utiles sur le terrain car visibles à l’œil nu. Le bourgeon va nous permettre d'aller un peu plus loin et d'évoquer (en toute simplicité) quelques notions d'anatomie végétale, c'est à dire de dévoiler quelques secrets intimes de nos Sauvages. Très schématiquement, on pourrait représenter le bourgeon nu d'un végétal ainsi:
Le bourgeon est un concentré de rameau feuillé, en miniature: on retrouve des nœuds, des entrenœuds, des ébauches de feuilles et leurs bourgeons axillaires associés. Lors du «débourrement» (au printemps pour les arbres), le bourgeon révèle sa véritable nature: un minuscule rameau feuillé se déploie. Le nouveau rameau grandit sous l'effet de l'allongement cellulaire, les jeunes entrenœuds pouvant plus ou moins s'étirer en fonction de l’espèce (les vieilles ramifications perdent cette souplesse). Puis le rameau, fier de ce nouveau prolongement, reprend son inexorable développement par le haut, grâce au travail incessant de son bourgeon apical que seul l'hiver freine.
Sous les petits bourgeons hémisphériques de l'Ailanthe (Ailanthus altissima), les cicatrices foliaires en forme de cœur laissées par les feuilles qui sont tombées en automne. Au printemps suivant, le rameau qui naîtra de chaque bourgeon sera équipé de nouvelles feuilles. Ainsi, une feuille qui est tombée n'est jamais remplacée au même endroit, mais compensée par d'autres feuilles, qui apparaissent sur de nouveaux rameaux.
Au cœur du bourgeon, se cache un précieux trésor, emmitouflé parmi les ébauches d'organes: le méristème. Il s'agit d'un petit paquet de cellules indifférenciées, très actives. C'est le méristème qui a fabriqué le bourgeon et c'est lui qui fabriquera les rameaux, les feuilles et donc les bourgeons à venir, dupliquant indéfiniment le même schéma, depuis le bourgeon originel issu de la graine: le bourgeon devient rameau portant des bourgeons qui deviennent rameaux portant des bourgeons qui deviennent rameaux...
Tant qu’on ne choisit pas, tout le reste est possible.(Mr. Nobody, Jaco Van Dormael)
Mieux encore: la force du végétal, c'est que rien n'est programmé à l'avance. Le méristème n'a pas encore choisit son orientation définitive. Son devenir est incertain, il peut devenir un nouveau rameau feuillé comme on l'a vu, mais aussi une fleur, en fonction des besoins et de la situation.
Bien sûr, le méristème ne s'en remet pas au hasard pour décider de sa future vocation. Il est guidé par les régulateurs hormonaux de la plante qui assurent le rôle d'architecte et de chef de chantier. Ceux-ci distribuent les rôles, destinant certains bourgeons au développement du végétal (tige ou rameau) et d'autres à sa reproduction (fleur). En fonction des espèces, il faut commencer par réunir un certain nombre de conditions (âge et maturité de la plante, nombre d’entrenœuds, température, durée du jour...) pour qu'une floraison soit envisageable. Si c'est le choix de la fleur qui l'emporte, la croissance végétative du rameau arrive à son terme... Place à la sexualité! Notez que dans le fond, une fleur n’est jamais qu’un rameau « atrophié » munis de feuilles modifiées et optimisées pour la reproduction (voir notre article consacré aux fleurs).
Ainsi, la plante conserve tout au long de sa vie, et en tout point, la possibilité de modifier sa stratégie (continuer de pousser ou non, de grandir ici plutôt que là, de se reproduire ou non...). Les plantes n'ont pas la possibilité de se mouvoir comme les animaux, mais elles compensent grâce à une grande souplesse structurelle: face à une situation critique, l'animal bouge, la plante s'adapte!
Sous nos latitudes, les bourgeons des espèces ligneuses sont recouverts, à quelques exceptions près, d'écailles (chez les herbacées, le bourgeon nu est la règle) qui font office de carapace protectrice pour le précieux méristème. Il s'agit de feuilles modifiées, plus ou moins dures, imperméables à l'eau, chargées de préserver la promesse de rameau ou de fleur face aux rigueurs climatiques (le bourgeon est fortement déshydraté pour limiter au maximum les risques de gel). Ce minuscule paquet peut-être rembourré d'un duvet cotonneux, la bourre.
La diversité d'aspect des bourgeons peut nous aider à identifier les arbres et arbustes au cœur de l'hiver, nous offrant de surcroît un spectacle très réjouissant. Avis aux amateurs de macrophotographie!
Pour ce faire, on prendra soin de noter le nombre d'écailles et la manière dont elles s'imbriquent, leur forme, leur couleur, leur texture (enduit, pilosité...) et bien sûr, comme pour les feuilles, la disposition des bourgeons sur les rameaux: sont-ils alternes ou opposés? Sous les bourgeons, les cicatrices foliaires ont des signatures caractéristiques qu'il est intéressant d'observer. Enfin on notera l'aspect des taches colorées sur l'écorce, nommées lenticelles (sortes de pores qui permettent la respiration de l'arbre). N'oubliez pas vos thermos, nous partons sans tarder pour une courte promenade, à la fraîche...
En l'absence d'écailles, on dit que le bourgeon est nu. C'est le cas (peu courant pour les arbres et les arbustes sous nos latitudes) des bourgeons opposés, couverts de poils gris, de la Viorne lantane (Viburnum lantana). On distingue sur le second cliché le renflement caractéristique du bourgeon en passe de devenir fleur.
D'autres leçons de botanique joyeuse sur Sauvages du Poitou:
- Le vocabulaire de la botanique : les feuilles
- Le vocabulaire de la botanique : les fleurs
- Le vocabulaire de la botanique : les fruits
Pour aller plus loin:
- La dominance apicale chez les Molènes sur le site Zoom Nature
- L'appareil végétatif des végétaux supérieurs par Jean-Marie Savoie