Mouron des oiseaux, Poitiers bords de Boivre
Stellaria media (Stellaire intermédiaire, Mouron des oiseaux ou Maurion en poitevin-saintongeais) appartient aux Caryophyllacea, une famille dont les membres présentent souvent un squelette caractéristique: lorsqu'une fleur apparait au bout d'un rameau, la croissance de ce dernier s'arrête. Deux axes secondaires poussent alors sous la fleur, au bout desquels apparaitront les fleurs suivantes, et ainsi de suite...
Stellaria media est une annuelle qui se resème efficacement (jusqu'à cinq générations peuvent se succéder par an depuis une seule plante). Ses graines ont besoin de lumière pour germer; c'est pourquoi on la voit surgir de toute part dans les potagers dès que le sol est brassé et retourné, les semences remontant à la surface.
Stellaire intermédiaire au printemps, Poitiers bords de Boivre
Ses colonies sont rarement mal considérées: son feuillage lisse et persistant offre un couvert appréciable — et nourricier car elle capte l'azote — pour le sol en hiver (bien qu’annuelle, Stellaria media survit parfois au delà de son premier anniversaire). Ses colonies les plus imposantes peuvent être le signe d'un
sol équilibré et fertile, où les bactéries aérobies assurent une bonne
fonction digestive de la matière organique. Mais n'en faites pas un credo absolu: la Sauvage sait aussi se contenter de parcelles moins classieuses, voir d'un simple trottoir!
Stellaria media fleurit toute l'année durant, en dehors des périodes de gel. Ses petites fleurs blanches présentent cinq pétales entièrement échancrés, à tel point qu'elles semblent composer une étoile à dix branches: Stella est l'«étoile» en latin.
Fleurs de la Stellaire intermédiaire: 5 pétales entièrement échancrés plus courts que les 5 sépales, 3 à 5 étamines autour de 3 styles (contre 5 styles pour la plupart des Céraistes).
Par coquetterie sans doute, la tige est parcourue d'une seule ligne de poils qui passe d'un côté à un autre à chaque nœud; assurément un bon moyen de ne pas confondre la belle avec les nombreux Céraistes (Cerastium sp), d'autres Sauvages du clan Caryophyllacea aux fleurs blanches et aux allures similaires (du moins de loin).
Tige de la Stellaire intermédiaire: une ligne de poil bien caractéristique.
La Stellaire intermédiaire est une Sauvage au visage familier. Il existe pourtant d'autres taxons plus confidentiels qui devraient nous inciter à vérifier deux fois son identité lorsqu'on la croise: à commencer par la Grande Stellaire (Stellaria negleta), une sœur jumelle probablement confondue la plupart du temps avec la Stellaire intermédiaire, d'où le peu de données dont on dispose quant à sa répartition. Elle se distingue par sa grande taille, ses pétales égalant ou dépassant les sépales et sa dizaine d'étamines (l'observation à la loupe binoculaire des semences est un critère plus fiable, mais délicat sur le terrain). En second lieu, la Stellaire pâle (Stellaria pallida) qui affectionne les sols pauvres et secs (avec une répartition essentiellement méditerranéenne): nettement plus petite que la Stellaire intermédiaire, la Stellaire pâle présente des fleurs fermées, généralement dépourvues de pétales, ou avec des pétales minuscules. En botanique, rien n'est jamais définitivement simple, mais c'est là que réside le jeu et surtout le plaisir!
C’qui est embêtant dans les oiseaux c’est le bec.
(Bernie, Albert Dupontel)
Les graines que Stella media produit en grande quantité (2.000 à 20.000 graines par pieds!) dans ses capsules sont appréciées des volatiles, d'où son surnom de «Mouron des oiseaux». En réalité, pas besoin d'avoir un bec et des ailes pour apprécier la belle: Stella media est une célèbre comestible, crue ou cuite, riche en calcium, silice, magnésium et vitamine C. Jadis, c'est la corporation des marchands de Mouron qui se chargeait d'aller cueillir la Sauvage pour la vendre sur les marchés en criant «Du mouron pour les p’tits oiseaux, un sou la botte!» (je vous recommande vivement la lecture de l'article haut en couleur du site France Pittoresque: Chasseurs de plantes des environs de Paris).
Feuilles ovales de la Stellaire intermédiaires, longuement pétiolées à la base, sessiles en haut des tiges, bonnes pour la salade!
Au Japon, la tradition fête les «sept herbes» au début du mois de janvier. Ce jour (Nanakusa-no-sekku) célèbre le retour de la végétation et le printemps à venir. Les japonais partagent en famille un gruau de riz accompagné des pousses de sept herbes sauvages, notre Mouron des oiseaux faisant partie du lot. Si le mélange est aujourd'hui vendu en sachet dans les supermarchés, il convenait autrefois de hacher sa récolte tout en chantant une comptine: «Avant que les oiseaux du continent s'envolent vers le Japon, je hache les sept herbes...». Bonne idée: mangeons le Mouron avant que les oiseaux ne le mangent!
Attention si vous partez en quête d'un casse-croute nippon à travers le jardin: prenez garde à un dernier piège, le Mouron rouge (Anagallis arvensis), un faux cousin légèrement toxique, présente des parties aériennes proches du Mouron des oiseaux hors floraison (les fleurs vermeilles du Mouron rouge signalant facilement la traitresse à maturité). En l'absence de fleurs, les petits points bruns sous les feuilles du Mouron rouge peuvent nous aider à identifier la Sauvage impropre à la consommation, et d'éviter de se faire du mouron intestinal!
Sous les feuilles du Mouron rouge (Anagallis arvensis)
Pour aller plus loin:
- Des idées recettes autour du Mouron des oiseaux sur le blog Sauvagement-bon
- Le Mouron des oiseaux à travers l'histoire sur le blog Books of Dante
- Stellaria media: identification assistée par ordinateur
- Stellaria media sur Tela-botanica
- Stellaria negleta sur Tela-botanica
- Stellaria pallida sur Tela-botanica
Stellaire aquatique (Myosoton aquaticum), une Caryophyllacée des zones humides qui se distingue de la Stellaire intermédiaire de par ses grandes feuilles ovales et pointues (2 à 8 cm) et ses grandes fleurs (15 mm) à 10 étamines.
Fleur du Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers bords de Boivre
Cyclamen hederifolium (Cyclamen à feuille de lierre ou Cyclamen napolitain) appartient à la famille Primulaceae, au côtés de fleurs précoces et printanières comme le Primevère acaule, ou le Coucou (Primus en latin signifiant premier)... Mais la précocité ne fait pas règle dans ce clan, puisque Cyclamen hederifolium choisit le début de l'automne pour pointer le bout de ses fleurs roses ou blanches.
La Sauvage doit son nom à la racine grecque kyklos, «cycle». Cyclamen hederifolium affiche une géométrie circulaire remarquable, que ce soit au niveau de sa partie souterraine (tubercule) en forme de disque, de ses jeunes pousses qui se déroulent avant de déployer leur fleur, puis finalement s'enroulent en spirale pour déposer la graine au sol.
Le grand livre de la nature était écrit dans la langue des droites, des cercles, la langue de la géométrie et des mathématiques.
(Galiléo Galilée)
Jeune pousse du Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers bords de Boivre
Cyclamen hederifolium est une Sauvage méditerranéenne; elle est très commune en Corse, où les anciens portaient les tubercules déterrés en ceinture pour tenir à l'écart les mauvais sorciers (Cap Corse). La grande rusticité de la vagabonde (elle ne craint ni le froid, ni la sécheresse) lui a permis de remonter vers le Nord; elle s'est aujourd'hui naturalisée dans le centre, l'ouest de la France et même au-delà, jusqu'en Grande Bretagne (d'une île à l'autre), où elle pousse à l'ombre des haies ou des forêts, de préférence sur des sols humifères et frais.
Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers quartier Bellejouanne
Cyclamen hederifolium est une vivace à tubercule. Cet organe circulaire et charnu assure les réserves de la plante pendant la période de repos végétatif — c'est à dire pendant la belle saison.
Tubercule du Cyclamen à feuille de lierre sur le point d'être replanté au jardin...
Les fleurs odorantes de Cyclamen hederifolium paraissent bien avant les feuilles marbrées de blanc; ces dernières ressemblent vaguement aux feuilles du Lierre grimpant (Hedera helix), à l'ombre duquel la Sauvage aime se cacher.
- Cartapus est une professionnelle, c'est la reine du camouflage.
- Quand je regarde comme ça, on me voit. Si je regarde comme ça, on me voit plus. On me voit, on me voit plus. On me voit, on me voit plus.
- Superbe.
(Astérix et Cléopâtre, Alain Chabat)
Cyclamen à feuille de lierre et Lierre grimpant mélangés,
Saurez-vous les reconnaître?
Bien sûr, reconnaitre les feuilles du Cyclamen « à feuille de lierre » au milieu d'un tapis de Lierre grimpant n'est pas chose difficile... Certains observateurs reconnaissent même, au centre des feuilles de notre Sauvage, un motif caractéristique en forme de sapin de Noël!
Si l'hiver est clément, les feuilles de Cyclamen hederifolium forment un couvert hivernal élégant, avant de disparaitre au printemps suivant (contrairement à d'autres espèces de Cyclamen, comme Cyclamen purpureum, dont les feuilles en forme de cœur persistent une grande partie de l'année).
Feuilles du Cyclamen à feuille de lierre: limbe irrégulier, anguleux, marqué de blanc.
Cyclamen hederifolium est toxique pour l'homme; son usage médicinal ancien (en tant que purgatif) est resté marginal et périlleux. La Sauvage contient de la cyclamine, une substance aux propriétés proches du curare, surtout concentrée au niveau de son tubercule; le suc de la plante a même été utilisé jadis pour empoisonner des flèches (la cyclamine, en injection sous cutanée, peut provoquer une paralysie musculaire)!
Fruit (capsule ronde) du Cyclamen à feuille de lierre, Poitiers quartier Chilvert
Pour aller plus loin:
- Cyclamen hederifolium sur Tela-botanica
Cyclamen à feuille de lierre : au bal de l'automne...
Mouron rouge, Biard (86)
Anagallis arvensis (devenue aujourd’hui Lysimachia arvensis, alias Mouron rouge) appartient aux Primulaceae (selon la classification classique), au même titre que les Primevères (voir Primula vulgaris) ou les Coucous, des plantes à la floraison précoce et printanière (de mai jusqu'à la fin de l'été). Anagallis arvensis aime les terres remuées et riches en nitrates. C'est une annuelle qui ressème spontanément ses nombreuses graines (emmagasinées dans ses capsules). Ses fleurs sont trop discrètes pour tout miser sur l'aide des butineurs; l'évolution l'a donc pourvu d’organes reproducteurs hermaphrodites et autogames (capables de s'autoféconder).
Anagallis arvensis a parfois été surnommée «baromètre des pauvres»: on peut s'attendre, lorsqu'elle referme ses petites fleurs rouges dans la matinée, à de la pluie avant la fin de la journée. Les riches lui préféreront sans doute un véritable baromètre!
Fleur du Mouron rouge: 5 sépales, 5 pétales, 5 étamines autour de 5 carpelles soudés entre eux... Un joli carré de 5!
Tu prends la pilule rouge, tu restes au Pays des Merveilles.
(The Matrix, Lana Wachowski)
Jadis, on pensait Anagallis arvensis susceptible de soulager les hypocondriaques, les personnes crispées et anxieuses à l'excès quant à leur état de santé, ainsi que les ceux qui souffrent de mélancolie. Son nom Anagallis lui vient d'ailleurs du grec Anagelaô, qui signifie «je ris» ou «je chante»... Peut-être imaginait-on que la plante euphorisait ceux qui la mangeait, hommes ou oiseaux! La Sauvage a aussi été employées dans les traitements contre l'épilepsie.
En vérité, Anagallis arvensis renferme une bonne quantité de saponines; elle est légèrement toxique pour l'homme et mortelle pour les lapins et certains rongeurs (attention à ne pas à glisser dans leur nourriture). Son usage est aujourd'hui abandonné et il convient de ne pas la confondre avec sa fausse cousine aux fleurs blanches, la reine des salades, le Mouron des oiseaux (Stellaria media). En l'absence de fleurs, les petits points bruns sous les feuilles d'Anagallis arvensis peuvent nous aider à identifier la drôle, impropre à la consommation.
Fruits (capsules) et feuilles tachées du Mouron rouge: opposées, sessiles, ovales ou lancéolées.
Pour aller plus loin:
- Anagallis arvensis sur Tela-botanica
- Anagallis foemina sur Tela-botanica
Le Mouron rouge, parfois bleu, ne sait décidément pas choisir... Alors va pour le rose!